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De la croissance à l'accroît-sens




Ce que je propose est donc très simple : rien de plus que de penser ce que nous faisons.


H. Arendt - Condition de l’Homme moderne.



  Il paraitrait que la situation actuelle serait bonne pour la planète comme pour son climat. Un vrai répit… Les reportages se multiplient, sur ces animaux qui se promènent dans nos villes, ces oiseaux qui rechantent, les émissions de particules fines comme celles de gaz à effets de serre qui diminuent drastiquement. Chouette ! Certains s’amusent même à comptabiliser le nombre de vies épargnées parce qu’on pollue moins, parce qu’on roule moins aussi… Et si ça faisait plus que le nombre de ces vies emportées par le virus ? Pour les uns, voici un bel exemple de décroissance salvatrice. Pour les autres, voilà une bien mauvaise illustration de ce à quoi l’arrêt de l’économie pourrait conduire : faillites, chômage, pauvreté… Levez toutes ces contraintes environnementales, que nous puissions repartir de plus belle et sauver tout ce monde !


  Abjections votre (des)honneur !! Tout d’abord, personne ne saurait se réjouir d’une situation qui conduit à tant de décès, tant de souffrances. Beaucoup de solidarités nouvelles oui, certainement, mais énormément d’efforts et de risques consentis par toute une frange de la population, de gens merveilleux qui veulent moins être des héros que voir leurs conditions de travail et la reconnaissance de leurs activités, renforcées. Personne ne peut vouloir un tel confinement qui nous prive du lien à l’autre, qui renforce les inégalités ; qui atteint nombre de libertés pourtant fondamentales, comme celle de se déplacer ou celles liées à nos données personnelles et à la protection de notre vie privée, que nous sacrifions à la société de surveillance sous couvert de santé et de sécurité : Big Mother comme l’appelle A. Damasio.


  Ensuite… si nous repartons après comme avant, ce répit aura été de bien courte durée. Comme après les seules périodes où les émissions de CO2 ont baissé au cours des deux derniers siècles, pendant les grandes guerres ou les grandes crises économiques (1929, les chocs pétroliers des années 70, la crise des subprimes de 2008). C’est-à-dire très involontairement, tout du moins dans l’idée d’une lutte consentie contre les dérèglements climatiques. Ces émissions sont toujours reparties à la hausse alors qu’il faudrait qu’elles entament leur descente durable pour les prochaines décennies… C’est la question principale que je me pose toujours : avons-nous développé l’intelligence collective qui nous permettrait de réellement inverser la tendance dans la durée ? Volontairement, je veux dire… pacifiquement même.


  Enfin, voilà deux visions bien tristes, de l’écologie comme de l’économie. L’actuelle situation ne ressemble en rien aux propositions émanant des courants de la décroissance ou même, sans aller jusque-là, de tous les partisans de la sobriété, du slow, de la transition écologique pour le faire court. Tous prônent l’idée du « plus de liens, moins de biens », en appellent à l’intelligence collective, à l’entraide, la coopération, à la culture, à la fête aussi, bref : tout ce que l’actuelle période ne permet aucunement ou si peu. Bien sûr, il y a nos smartphones, les systèmes de visio et milles innovations, créations, qui permettent de soulager ce confinement et de rire un peu. Mais vous verrez comme nous serons heureux de nous retrouver !


  Quant à l’économie… Quelle idée que d’imaginer qu’il n’y a d’autre façon de repartir que comme avant, voire en pire pour rattraper notre retard… Bon, TINApasl’choix, c’est ce qu’on nous ressasse depuis Margareth et Ronald. J’ai déjà évoqué ce capitalisme du désastre décrit par N. Klein, qui profitera fort bien de l’actuelle crise sanitaire, armé de sa stratégie du choc. Du moins, si nous continuons de subir. Heureusement, les initiatives sont nombreuses qui permettent d’envisager autre chose et le temps qui nous est donné permet à ces réflexions de fleurir, pour accompagner les soignants et contribuer au commun.


  Voilà bien longtemps que de nombreuses propositions sont sur la table - mais que nos dirigeants refusent d’entendre - pour repenser nos modes de production et de consommations et nous désintoxiquer du carbone : mobilité douce, agroécologie, rénovation thermique des bâtiments pour ce qui est du matériel ; renforcement de nos systèmes de soin, d’éducation, de recherche, d’aide aux personnes dépendantes pour ce qui est de l’immatériel… Bien sûr, il faudra tout changer, penser la formation, la reconversion de millions de personnes et c’est l’avantage du questionnaire de B. Latour évoqué dans mon dernier billet, que de donner la parole à chacun de nous pour se faire force de proposition.


  J’ai voulu montrer dans la deuxième partie de cet essai que je vous propose, comment le concept de dette climatique pourrait nous permettre d’aller plus loin encore, parce que le problème du climat est global, comme le confinement d’ailleurs et l’arrêt momentané de cette économie, qui nous procure une forme de Grand Stop possiblement salutaire ; non pas en terme de répit, nous l’avons compris, mais au contraire, comme coup de fouet pour penser ce monde d’après. Pour nous donner les moyens d’Agir Global, de renverser la stratégie du choc, j’ai proposé de rééquilibrer les rapports Nord-Sud en inversant les créditeurs et les débiteurs entre les deux hémisphères et en explorant quelques pistes concrètes liées à ce renversement, à travers des propositions ayant trait au financement des ODD, au système alimentaire mondial ou encore, à la migration.


  A partir d’aujourd’hui et pour les dix prochains jours, je vais explorer quelques-unes des conséquences de ces réflexions clim-éthiques pour Penser (le) Local, ici, au Nord. Un Nord où il y a de plus en plus de sud et je ne parle pas de la chaleur qui monte, qui monte… Comme la bête… Penser ce que nous faisons... Je parle de la pauvreté qu’il nous faut éradiquer ; je parle des migrants que nous nous devons d’accueillir aujourd’hui et plus encore demain, quand les dérèglements climatiques s’accentueront. Il nous faut penser ce local, avec la contrainte environnementale et en sortant de ce triste choix entre mondialisation débridée, mortifère, et nationalismes rampants, nauséabonds. Penser le Local donc, pour accompagner l’agir et ne pas « faire n’importe quoi » : l’action sans le mot est aveugle.


  Comme pour les rapports Nord-Sud que la dette climatique peut et doit nous inviter à refonder complètement, les réflexions autour de la question des responsabilités individuelles ici au Nord, en matière climatique, impliquent de positionner la question de l’équité et de la justice sociale au cœur d’une transition, d’une transformation plutôt, non pas seulement écologique mais socio-écologique. Je vous ai déjà parlé des toques rouges et autres casaques jaunes qui se mobilisent lorsque ce n’est pas le cas. Comme le dit N. Chomsky, la révolution des savoirs succédant à celles de l’agriculture et de l’industrie, les universités sont appelées à jouer un grand rôle dans les temps qui viennent, ce qui n’est pas forcément incompatible avec l’idée de penser.


  Dans cette troisième partie, je vous parlerai du rôle et de la nécessaire transformation de l’enseignement et de la recherche elle-même - dont la responsabilité n’est pas mince dans la question du « développement » comme dans celle de l’émancipation matérielle et immatérielle – pour accompagner cette transformation en lien étroit avec les acteurs des territoires. Mardi prochain, nous nous mettrons ainsi en route pour l’uni-vers-cité. Trois jours plus tard, nous verrons ensemble toute l’importance de nous réapproprier le temps pour expérimenter, chercher tous ensemble des solutions à ces défis qui nous attendent au sortir du confinement. Le temps… Elément central du chapitre 9 qui traitera beaucoup de la question du temps de l’action, du temps de travail aussi et ce sera pur hasard que nous soyons le 1er mai. Derrière cette question du temps, encore et toujours : le système. La compétition, moteur de l’accélération… De l’innovation, de la croissance…


  La croissance, tellement vivace ; quelque peu fanée ces temps-ci mais toujours à l’affut. Pourtant tellement utopique dans un monde fini. Elle sera au cœur du chapitre de ce jour, où je vais traiter des différentes visions que l’on en a, chez nous ; des différentes couleurs dont elle se pare pour parer au plus pressé. La croissance, entre la durabilité faible et la durabilité forte. Plus proche de la durabilité faire, c’est-à-dire, de l’escroquerie. La croissance, entre décroissance et croyance, en particulier dans le tout-technologique censé nous apporter LA solution. Je combinerai la puissance de Kaya et l’impuissance de Gaïa, pour nous montrer que nous n’avons d’autre choix que d’en sortir et de tout repenser : notre rapport à l’autre et au monde, notre rapport à la technique ; notre rapport au savoir, au temps ; notre rapport à l’idée de progrès. Notre rapport au sens tout simplement.


  Pour penser, de la croissance à l’accroît-sens, c’est ici : Partie III, Chapitre 7

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