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Pour un autre récit !




"Je préfère la manquer en l'attendant" - F. Kafka.


  Comme cette phrase est mystérieuse… Faut-il seulement chercher à l’expliquer ou simplement la vivre ? Elle m’a transpercé lorsque je l’ai découverte dans un roman de Camille Laurens qui parle d’amour, comme dans un essai de Roland Gori qui parle du bonheur et de la liberté. Je l’ai ressentie comme une évidence : celle du Désir. Possiblement vain, mais loin d’être mortifère, il est ce qui garantit l’avenir. Il est en partie ce qui m’a conduit à cette idée de retournements jubilatoires pour contribuer à bâtir un autre récit, dans la perspective d’un monde devenant réellement commun.


Les absences de ce monde commun comme de ces grands récits, qui ont explosé en vol depuis l’avènement et l’extension planétaire de notre système de développement, sont à la base de tous nos maux dont nous avons exploré jusqu’ici, où ils pourraient nous conduire. Le manque, toujours le manque. Alors à partir d’aujourd’hui, nous allons commencer à stimuler cet autre récit en tâchant de nous donner le courage, la puissance, l’envie d'entreprendre une nouvelle grande transformation. Il ne s'agira pas que de mots.


  La période actuelle est pourtant douloureuse. Mais elle est l’illustration parfaite de cette citation : nous pouvons, nous devons « mettre à profit » cet épisode - avec toute l’importance de ces guillemets que vous avez pu lire dans « Le Grand Stop » - pour penser cette grande transformation. Des discussions fleurissent dans tous les médias, sur les liens entre le Covid-19 et le climat ou la biodiversité, qu’il va falloir creuser dans les années à venir ; sur les atteintes à nos libertés, par exemple en matière de mobilité ou de vie privée, qu’engendrent le confinement ou les systèmes de surveillance de notre santé à l’aide de nos smartphones. Juristes et philosophes nous alertent d’ailleurs, sur l’équilibre à trouver entre surveiller et guérir, comme dans le dernier numéro de Télérama (semaine du 10 au 16 avril), où le philosophe J.-C. Monod nous dit également ceci : « ce que les critiques du productivisme industriel n’ont jamais réussi à imposer, l’épidémie l’a fait : elle entraine des décisions auparavant inimaginables, empêchées par l’invocation systématique des dogmes libéraux… En période d’urgence vitale, le pseudo-réalisme économique vole en éclat » (J.-C. Monod, Télérama, semaine du 10 au 16 avril).


  J.-C. Monod nous dit que les défenseurs de la transition écologique sauront se souvenir de ce précédant. Ils le savent je pense, comme ils savent que « nous » n’avons pas su (voulu ?) mettre à profit la crise des subprimes il y a dix ans, pour quitter le système financier actuel. Ne faudrait-il pas que ce soient plutôt les pilotes de ce système qui en prennent conscience ? « Pilotes », « système »… Je préciserai ces termes dans ce chapitre que je vous propose aujourd’hui, en particulier dans une première partie dédiée à l’exploration des freins qui nous empêchent d’entreprendre cette transformation. Mais de façon plus fondamentale encore, il y a une différence essentielle entre la crise sanitaire que nous vivons et la question climatique, qui n’est pas une crise mais un des symptômes des dérives de notre modèle de développement : pour le Covid19, nous parlons d’un système qui subit tandis que pour le changement climatique, nous devrons le transformer en profondeur. Nous parlons aujourd’hui de réaction, d’adaptation à ce type de crise appelé à survenir de plus en plus souvent sous des formes de moins en moins prévisibles. Le virus a simplement appuyé sur "Pause" ; c’est vrai qu’il est balèze, il parvient même à interrompre les guerres. Pourtant, il y a fort à parier que c’est pour mieux repartir comme avant, ce qui est précisément ce à quoi nous nous attaquons dans ce partage et ces discussions.


  Le Covid-19 est une contrainte, qui nous est imposée dans un délai et pour un temps très court, espérons-le. Il cause de nombreux dégâts, en termes de vies humaines et de faillites économiques dont il faut espérer que l’on trouvera bientôt des réponses, d’abord sous la forme d’un vaccin ; puis probablement dans l’injection de centaines ou de milliers de milliards de dollars pour que l’économie puisse redémarrer, sommes dont personne ne comprend d’où elles vont sortir, tandis qu’on nous parle en permanence d’austérité. « There is no free lunch » disent les économistes qui devraient faire montre de davantage de pédagogie ; de fait, il faudra bien que quelqu’un paie pour rembourser ces sommes qui paraissent gigantesques. Se profilent déjà, paradoxalement, des conséquences dramatiques sur les services publics dont pourtant, tout le monde semble découvrir l’importance aujourd’hui, dans les domaines du soin mais aussi de l’éducation, de la recherche… Gare à la stratégie du choc !


  L'actuelle crise sanitaire et ses conséquences à venir sont donc des plus importantes, aucun doute. Cette période est totalement inédite. Il est néanmoins crucial de réaliser que les causes des dérèglements climatiques impliquent que nous devons nous désintoxiquer, non d’un virus mais du carbone que l’on envoie dans l’atmosphère à chacun de nos gestes ou de nos déplacements. Les conséquences seront tellement plus importantes que celles du Covid-19, aussi dramatiques soient-elles aujourd’hui ! Elles seront sociales, économiques, environnementales, géopolitiques, sanitaires même – on ne le mentionne pas suffisamment - portant atteinte à l’ensemble des droits de l’homme et remettant profondément en cause la liberté des générations futures de pouvoir choisir leur mode de vie. C’est la grande différence d’avec l’actuelle crise sanitaire : il nous faut tout changer ! Et je dirais surtout… il faut vouloir tout changer. Ca ne se fera pas du jour au lendemain, non, mais la décision de ne pas seulement nous adapter mais d’engager la grande transformation nécessaire pour éviter tout cela, cette décision, elle, doit être prise maintenant : nous avons déjà bien trop tardé.


  Pour aller dans cette direction tout en combattant activement la stratégie du choc, nous allons entreprendre nos premiers retournements et je ne parlerai pour l’heure que du premier d’entre eux : considérer le changement climatique comme une chance, justement parce que l’ampleur du problème le rend fondamentalement différent de la crise sanitaire que nous traversons, ceci étant dit encore une fois, avec tout le respect que l’on doit aux victimes et aux soignants. Plus exactement, en parlant de soin, nous allons le penser comme une occasion possiblement unique de traiter, à la racine, l’ensemble des maux de notre système plutôt que de n’en soigner que les symptômes. Cela va nous obliger à réconcilier le sens et l’urgence.


  Je ne sais pas si vous avez entrepris le petit exercice de lucidité proposé mardi ou si vous avez préféré attendre aujourd’hui pour n’en point rajouter à l’actuelle morosité. Dans l’idée de passer de la dépression à la jubilation, je crois qu’il est fondamental d’imaginer cet autre récit, de commencer à le bâtir ensemble pour rouvrir ce futur à partir d’un projet qui nous donne vraiment envie. Un truc qui nous dépasse, un quelque chose de plus grand que nous mais auquel nous pouvons tous contribuer. Je ne parle pas d’un Dieu ou d’un empire, d’un tyran ou de la machine, non ! Je pense à la recherche d’un monde réellement commun. Un projet quoi ! Une perspective d’avenir désirable !! Transformation, quand tu nous tiens...


Si vous ne voulez plus attendre de la manquer ou si vous ne pouvez plus manquer de l’attendre, à moins que ce ne soit l’inverse : Partie I, Chapitre 3.


  A mardi prochain ! D’ici là, bonne lecture et surtout… portez-vous bien !

Olivier

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